Dama Guilé Diawara
Histoire de Dama par professeur Mamadou Diawara
1. « Faayan gunbo nyogome Siga Maxa 1. « Siga Maxa, Dromadaire Mâle de la Faaya
2. Nyogomen yan giila digen wa de 2. Le Dromadaire est certes, plus grand que le Bouc
3. Nx’o da simma 3. Mais nous pensons
4. Digen yan huŋu nyogomen wa 4. Que [si] le bouc est plus vénérable que le dromadaire
5. Sinqe do taŋan yinten wa 5. La barbe et le toupet [en sont la cause]
6. Xa Siga Maxan xusa Kunbu gamman xa xuda » 6. Hourrah Siga Maxa, vainqueur du Coq de Kunbu [Chef de guerre] »
On l’appelle Siga Maxa, de son prénom Maxa et de celui de sa mère Siga. À ce nom, connu des généalogistes et des cercles savants, se substitue un plus courant, Daama. Grand de nature (gille), on y affubla cette épithète. Daaman Gille, Daama Le Grand. Ses descendants l’appellent avec déférence Kisima Daama, l’Ancêtre Daama. Que de prénoms pour désigner l’ancêtre de celui qui fonde la dynastie qui se hissa au pouvoir à Jaara (Diarra des cartes géographiques) au début du XVIème siècle (Diawara 1990 : 22-25).
Rappelons que Jaara fut la capitale d’un royaume éponyme (XIVè-XIXè siècle), où régnait un siècle durant l’aristocratie fondatrice de patronyme Nyaxate. Ce pouvoir initial renversé par la maison Jawara, fut à son tour mis en cause deux fois par d’autres formations politiques. La première fut le royaume du Kaarta (Karta), sous la houlette de la dynastie Masasi, de patronyme Kulibali, à partir de 1754. La deuxième, la guerre sainte conduite par El Haj Umar entre 1854 et 1862, mit fin aux prétentions du Kaarta au Kingi 1 NB: L’essentiel de ce texte est inspiré de deux ouvrages de l’auteur. Le premier publié en 1990 est intitulé La graine de la parole, Stuttgart, Steiner Verlag, et le second en 2003 L’empire du verbe et l’éloquence du silence, Köln, Köppe Verlag. 2 Mamadou Diawara, Goethe Universität Frankfurt; Point Sud Bamako (Kingui). Enfin, la conquête coloniale française sonne l’heure de l’occupation avec la prise de Nioro en 1891 (Boyer 1953 : 46 ; Diawara 1990 : 30-31 ; Soares 2005 : 46).
Dix-neuf versions orales ont été collectées personnellement ou documentées grâce à la bibliographie au sujet de Daaman Gille. Cinq moments essentiels marquent les récits : les origines extraordinaires du héros, son avenir merveilleux, la rencontre de Sunjata, les pérégrinations et les rapports instaurés avec les autorités de la ville de Jaara.
Daama serait né d’un génie au Mande, ce qui fait de ses descendants des Mallinko, « Gens du Mande ». Son abondante généalogie du côté paternel - qui compte jusqu’à neuf ascendants, dont plusieurs prénoms de consonance arabe -, lui donnerait une origine arabe et musulmane. Daama fut au début un chasseur solitaire, opérant dans la forêt de Haaya (La Faya de nos jours), sur la route reliant Bamako à Segu. Ensuite, il reçut quelques compagnons dont Nyanŋe Maxan Saxanoxo Dukkaara, le premier, puis Jonpisugo. Auprès de son campement de chasse Daama accueille ainsi des pèlerins en partance pour La Mecque, leur rend de précieux services qui lui valent la promesse d’un couteau enchanté des lieux saints comme cadeau. Les pèlerins remirent le cadeau à Sunjata, fondateur de l’empire du Mali, sensé le donner à Daama. Daama, géomancien de talent pressentant l’arrivée du cadeau, quitte le Sangaran, son terroir de chasse, et rejoint le Mande pour le récupérer. Sur sa route, il rencontre Jugu, garanke, un « cordonnier » de patronyme Jawara qui cueillait du tannin (Acacia nilotica) pour préparer les peaux. Face au colosse, Jugu s’écrie : « J’ai trouvé une personne » (c’est-à-dire un « serviteur »). Daama lui renvoie la même formule. Jugu, qui argue de l’antériorité de son propos, confond Daama qui consent à lui servir d’apprentis. Dès lors, Daama et ses descendants sont considérés comme des garankan komo, les serviteurs des « cordonniers ».
Le héros explique à Jugu les raisons de sa présence. Jugu, en quête de main d’œuvre n’hésita pas à lui proposer le marché suivant : « Je suis l’ami de Sunjata, je peux lui exposer ton problème, moyennant quoi, ta suite et toi, vous me cueilleriez des tannins ». Daama et les siens se mirent à la tâche, en attendant que Jugu contacte le souverain. Interrogé, Sunjata reconnaît être en possession du cadeau enchanté, qu’il lui rend malgré lui, après plusieurs tentatives infructueuses de le confisquer. Daama reçut son arme, mais dû servir l’empire, en vainquant des ennemis irréductibles. L’étranger, devenu tout aussi encombrant que redoutable, fut expulsé par le souverain qui lui offrit tout de même la main de sa fille pour service rendu.
Les récits le font visiter des pays aussi divers que le Jalo, le Jalansa (actuellement en Guinée-Conakry), ainsi que des villes célèbres comme Walata (Mauritanie), Ja (sur un bras 3 Mamadou Diawara, Goethe Universität Frankfurt; Point Sud Bamako du Niger, au Mali), Sooromisiide (dans la région de Segu, Mali) où il s’allie à la famille régnante, en épousant la fille du roi. Du Mande à la Faaya, les traditionnistes font parcourir au héros un itinéraire mythique nécessaire pour rendre crédible son origine mandenka. Il en vient à quitter le Kingi, passe par l’actuel Kusaata (dans l’actuelle circonscription administrative de Diéma, Mali). Daama, chasseur et guérisseur, poursuit son chemin, avant d’arriver dans le village de Tuudungunne, Le Bois aux éléphants, aujourd’hui Bambaguédé, au Kingi, où il guérit la fille du souverain de Jaara. La mère de la patiente lui dévoila en récompense le secret de la prise du pouvoir à Jaara au détriment de la dynastie Nyaxate qui régnait depuis un siècle. Daama meurt à Banbagede, sans tenter d’occuper la ville. Son long séjour dans les contrées du sud est attesté par sa progéniture qui réside notamment dans le Kouroulamini, actuelle commune du Cercle de Bougouni, à 166 km au sud-sud-est de Bamako. Ces gens de culture bamana entretiennent des rapports réguliers et féconds avec ceux du Sahel, plutôt soninke.
La généalogie paternelle représente un thème essentiel des textes consacrés à Daama, car « Être, c’est venir de, et surtout descendre de. » comme l’écrivait Fatoumata Mounkaila au sujet du Zarmataray (1989 : 203). Dès le début du témoignage, les plus érudits des traditionnistes s’évertuent à énumérer les neuf ascendants du héros célébré. Pendant ce temps, dans une région où l’identité se décline en disant son nom patronymique, on continue à affirmer que Daama s’appelait Tabisi, Tabes ou Tabesh, selon les prononciations (Boyer 1953 ; cf. les témoignages oraux de Daraame, M. 1978, Daraame, B.B. 1979, Jawara, B. 1977, Jawara, Nb. M. 1978). Mais nul ne prononce ce prétendu patronyme à la suite du prénom du héros, comme le consacre la tradition locale (Ex : Daaman Tabisi/Tabes/Tabesh). En outre ce patronyme n’existe plus. Les diseurs les plus précis affirment que Daama changea de nom à l’étape de Ja, en route vers le Kingi. Mais pas plus qu’avec le patronyme précédent, personne ne mentionne « Daaman Jawara ». Faut-il croire que l’ancêtre qui change de nom, donc d’identité, est sans nom ? Ou bien faut-il penser, ainsi que je le crois, que ce changement est l’expression d’une « révolution » dans la carrière du héros qui engendre une nouvelle dynastie ? Il est certain que les traditionnistes font descendre du héros des princes, nommés Jawara, qui déclassent tous ceux qui, auparavant, s’appelaient ainsi. De Jonpisugo, serviteur de Daama, on ignore tout, jusqu’au nom patronymique pourtant aujourd’hui si fondamental dans la région. Daama n’est donc pas totalement différent de Jonpisugo dont nul ne connaît le nom de famille. N’est-ce pas là une façon pour l’un comme pour l’autre de jouer pleinement leur rôle d’ancêtre, celui à partir duquel s’effectue la rupture qui engendre une postérité qui bouleverse la hiérarchie politique ? 4 Mamadou Diawara, Goethe Universität Frankfurt; Point Sud Bamako
De cette version peuplée de pèlerins, et de « cordonnier », point n’est question dans le récit de Musa Jeere, l’érudit incontesté de Baagama, au Soroma, en plein Pays Soninke, dans le Cercle de Bafoulabé, au Mali. Pourtant ce sont bien ces moments que privilégient les traditionnistes du Kingi et d’ailleurs. Rappelons-nous la version de Dogo Diawara de Dakar (Meillassoux et Bathily 1975).
Les aventures de Daama et du garanke suscitent nombre d’interrogations quant à la façon dont le héros et sa progéniture deviennent les serviteurs des « cordonniers », tandis que ses compagnons restent francs de tout lien de servitude. Ce serait alors une exception par rapport aux normes sociales des Soninko. L’état de serviteur hérité par les princes étant sans incidence politique réelle sur la condition des « cordonniers », leurs maîtres, le rapport de subordination relève du symbole. Celui-ci est traduit par le lexique, puisque les personnes qui appartiennent à ces deux groupes se désignent par les termes « kome », le serviteur, et « kamane », le maître.
Dans le même ordre d’idée, Daaman N’Gille, l’ancêtre de princes de Jaara au cœur d’un pays à majorité Soninke, est considéré comme un Mallinke, Quelqu’un du Mande. À preuve, les traditionnistes racontent une légende qui lui fait franchir des distances invraisemblables qui vont du Mande, au Wanta, via le pays de Segu, la Faya et surtout le Sangaran, la terre du Buffle de Do, la mère de Sunjata. Ne l’appelle-t-on pas dans sa devise chantée en langue maninka doncolu benba, le « Père des chasseurs »2 ?
Doncolu Benba tunaata Te voici donc, Père des chasseurs I ŋe wo ŋe i maasayata Chacune de tes apparitions confirme ton allure royale Woyi Nima iyo Daabo Woyi Nima iyo Daabo I doncolu ce Ô Époux des chasseurs, Ke lemine yan donco. Cet enfant est bien un [véritable] chasseur I donco !
Donco ! Donco ! Ô chasseur ! Ô chasseur ! Ô chasseur ! I dala Daabo... I dala Daabo Xefati donco... Vaillant chasseur ! Taluma donco ti wala. Hourra le triomphateur ! Doncolu Benba Ô Père des chasseurs. 2 Donco est l’hymne classique destiné à toutes celles et à tous ceux de l’aristocratie et chanté par les femmes Sodogarenumu de patronyme Daraame, descendantes elles-mêmes des premiers princes du royaume de Jaara, de patronyme Nyaxate (XIVè-XVè siècle). 5 Mamadou Diawara, Goethe Universität Frankfurt; Point Sud Bamako
Le récit qui concerne Daaman Gille traite de « faits historiques » rendus sous forme de légende. S’en suit une profonde transformation du personnage principal qui le font tendre vers le mythe à élaguer pour l’historien (Boyer 1953 ; Diawara Mamadou, 1990). Le mythe lui attribue une ascendance orientale, avant de devenir un chasseur hors-pair.
Sunjata et Tanmimu Daari, ancêtre de Daama, font désormais partie de ce panthéon « d’ancêtres politiques » qu’on évoque afin de constituer une charte politique. À les analyser de près, les récits produisent une théorie du pouvoir plus qu’ils ne racontent une chronique du passé (Amselle 1990).
Les traditionnistes qui nous ont tant appris au sujet de Daama et des siens sont des intellectuels à part entière, de véritables idéologues d’une société dont ils portent la parole (Amselle 1990 ; Moraes Farias 1992). Les princes du Jaara se taisent sur le thème de l’ascendance, un silence éloquent qui cautionne les chroniques des diseurs attitrés. De ce silence se nourrit le pouvoir que tous deux gèrent soigneusement (Diawara 2003).
Interviews ####
Bibliographie
Amselle, Jean-Loup
1990 Logiques métisses. Anthropologie de l’identité en Afrique et ailleurs, Paris, Editions Payot.
Bathily, Abdoulaye
1975 A discussion of the traditions of Wagadu with some reference to ancient Ghana. Bulletin de I’IFAN, Série B 37: l-94.
Boyer, Gaston
1953 Un peuple de l’ouest soudanais : les Diawara. Dakar, Mémoires de l’IFAN, n° 29.
Diawara, Mamadou
1990 La graine de la parole, Stuttgart, Steiner Verlag. 2003 L’empire du verbe et l’éloquence du silence, Köln, Köppe Verlag.
Moraes Farias, Paulo Fernando de
1992 “The Oral Traditionist as Critic and Intellectual Producer: An Example from Contemporary Mali”. In African Historiography - Essays in Honour of Jacob Ade Ajayi, London, pp. 20-44.
Mounkaila, Fatoumata
6 Mamadou Diawara, Goethe Universität Frankfurt; Point Sud Bamako
1989 Mythe et histoire dans la geste de Zabarkane, Niamey, Celtho.
Soares, Benjamin F.
2006 Islam and the Prayer Economy: History and Authority in a Malian Town, London, Edinburgh University Press.
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